L audience des mères

Si la littérature contemporaine se tend particulièrement vers l’autobiographie et ses infléchissements, c’est surtout pour se dire et se raconter. Ce que les autobiographes racontent, se déploie en grande partie autour de leur passé auquel ils ont accès grâce à l’exploration d’une source de grande envergure qui n’est que l’histoire familiale de l’écrivain. Les récits de filiation constituent une des mutations de l’autobiographie où l’auteur se met à une auto-socio-analyse grâce a la mise en récit de son autobiographie et la biographie de la figure de l’ascendance. Dans ce va-et-vient que l’auteur effectue grâce à une remontée verticale de son passé qui s’étend parfois à des générations, il oscille entre sa vie et celle de ses parents ou de son aïeul en mettant en scène des conflits intérieurs avec ses derniers et ceux qui l’ont lancé dans ce qu’il est devenu. En fait l’auteur procède à une quête de soi afin de trouver les raisons du trajet existentiel qui l’a mené à une vie divergente de celle de ses parents. Symétriquement au manque du père et de la communication avec la figure paternelle auquel Dominique Viart consacre un article intitulé «le silence des pères», nous aborderons la figure maternelle qui devient embrayeur de la carrière de l’écrivain et que nous nommerons l’audience des mères. Dans le présent article, nous analyserons les récits de filiation d’Ernaux et de Michon pour voir d’abord comment s’y reflètent le conflit intérieur de l’auteur avec ses parents. Notre analyse basée essentiellement sur les concepts de la sociologie bourdieusienne aura pour visée de voir comment l’écrivain à travers le concept de l’habitus réussit à présenter en saillance la fonction du manque et du comble qu’exercent le père et la mère dans son devenir.